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Par cristopher stand, le 04.10.2015
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Date de création : 17.09.2010
Dernière mise à jour :
21.01.2014
24 articles
Le Magazine Littéraire N°480 :
Littérature et gastronomie
Les mots à la bouche
L’étude de la gastronomie au XIXe siècle en France montre qu’il s’agit, dans un discours proche des catégories littéraires, de la construction de règles marquant des différences tout autant sociales que culinaires. Balzac utilisait rhétoriquement la formulation beaucoup/peu: le vulgaire (beaucoup d’hommes), les classes au goût sauvage, celles qui ne savent ni vivre ni se tenir, une partie de la bourgeoisie aussi, ne fait que manger; les gastronomes (peu d’hommes), happy few, sortes de dandy – Dumas les appelait la «classe respectable des gourmands» –, récitent et utilisent la confection, la composition des mets ainsi que leur voisinage avec les vins comme pratiques de distinction. Le discours gastronomique est donc un style d’écriture qui fait partie d’un style de vie aux lois complexes et byzantines; c’est un ensemble de recettes culinaires régulant l’ensemble de la sociabilité. Classant les mets, décrivant les manières de les confectionner et de les déguster, la gastronomie se veut aussi science dans les écrits de Grimod de La Reynière et surtout chez Brillat-Savarin. Dans les méditations de ce dernier, la gastronomie tient à l’histoire naturelle, à la physique, à la chimie, à la cuisine, au commerce et même à l’économie politique. C’est une science utilisant les discours des autres sciences. Cette volonté de fonder solennellement la gastronomie comme science – avec une grande dose de naïveté – est un récitatif essayant de faire intérioriser la légitimité de l’arbitraire culinaire par des lecteurs provenant essentiellement de la bourgeoisie. Science mimétique, la gastronomie du XIXe siècle s’enracine enfin dans l’histoire, canonisant les grands mangeurs de l’Antiquité, empruntant ses lettres de noblesse à l’anecdote des banquets décrits par Pline, par Juvénal, par Martial ou bien par Archetrastes. Ces diverses fondations des règles culinaires sont orchestrées grâce aux commentaires littéraires.
Dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas
Alexandre Dumas, par exemple, dans ses Quelques Mots au lecteur préfaçant son dictionnaire de cuisine, accumule les descriptions de soupers après théâtre. Mlle Georges faisait préparer des truffes, Mlle Mars offrait à ses invités de la soupe aux amandes. Ces truffes, cette soupe participent au rituel du repas, ainsi qu’à l’esthétisme exprimant la convivialité, qui, ajoutée à la bonne chère, produit un plaisir composé: la célébration laïque décrite par Dumas – Mlle Georges en déshabillé, l’éclat des verres sur la table dressée, le parfum de la maison, la posture et la position dans le monde des convives sont les ingrédients sociaux de l’écriture dithyrambique. L’inflation des discours, la manie de la description mixte ont en définitive pour fonction de sacraliser littérairement les pratiques de table d’un groupe social et, à l’opposé, de dénier à l’homme qui mange le droit à la parole gastronomique. Le goût est ici la chose la moins bien partagée du monde et l’utilisation, variable dans son extension, du vocabulaire servant à affirmer sa compétence joue le rôle de rituel et d’examen de passage: technique, d’une part, il doit aussi être évocateur, métaphorique. Le discours sur les mets et les vins est allégorique. Le style littéraire est à la fois descriptif et allusif lorsqu’il règle, par l’écrit, l’ordonnancement socialement adéquat des divers plats composant un repas; ceux-ci, grâce à l’évocation rituelle, doivent essentiellement séparer les gastronomes du commun des mortels. Le vocabulaire de l’expressivité de l’admiration s’utilise sur les deux registres, dans le même mouvement discursif: un vin peut être charnu, capiteux, gras, ficelle, il peut aussi tomber en dentelle. Il peut être déterminé par des qualificatifs précis – comme le vocabulaire de la marine à voile –, mais il est, dans le même temps, évocateur de tout un contrepoint de sensations constituant autant de digressions et de souvenirs que la madeleine de Proust.
Ventres vides et ventres pleins
Cette gastronomie du XIXe siècle utilise donc l’évocation littéraire afin de s’imposer comme pratique et jugement marquant la différence, mais il serait manichéen, comme l’indique Antoine Grimod, de croire que le chercheur puisse diviser la société du XIXe siècle en ventres creux et en ventres pleins: – le gastronome est assez souvent décrit comme étant un gastrophore, et l’obésité est le blason du corps gastronomique. «Il n’y a pas de différence essentielle dans l’appétit des privilégiés des sociétés occidentales depuis les Romains jusqu’au milieu du XIXe siècle. Au contraire, quand le voisin a pu manger à sa faim sans trop de problèmes, l’ingestion massive ou le gaspillage d’une nourriture raffinée a perdu son prix; il a fallu se rabattre sur d’autres moyens de se distinguer et de montrer son luxe: alors peut apparaître le souci «de garder sa ligne»; la fin des ventres creux amène la naissance des ventres plats.» Il ne faut pas naturaliser les pratiques de distinctions puisque celles-ci sont arbitraires, la boulimie, la consommation ostentatoire – les repas comprenant de douze à quinze plats – le marquage du gaspillage par le corps du martyr-obèse, les recettes composées architecturalement autant que culinairement à la Trimalcion disparaissent peu à peu sous le second Empire puisqu’il n’y a plus de grandes famines. Le gastronome, l’homme des sauces, des rôtis et des crèmes, le dégustateur d’un Léoville 1870 ou d’un Yquem 1874 s’est peu à peu transformé en gastrolâtre qui, dans l’univers des recettes et des classifications hiérarchisantes, essaye de conjuguer son besoin de l’écrit, ses goûts culinaires modelés par les pratiques culturelles de son groupe social d’appartenance et ses jugements mimétiques qui lui permettent d’exprimer symboliquement sa mobilité sociale. Tout ce qui est traditionnel possède alors un rendement symbolique maximal. Le culte culinaire du passé, la simplicité de bon aloi, les pèlerinages aux sources et les voyages des gourmands dans les provinces françaises deviennent les nouveaux insignes gastrolâtriques du désir d’enracinement dans un passé mythologiquement traditionnel. La gastrolâtrie et la muséomanie devenant des traits culturels d’un groupe social ne pouvant plus se différencier d’autres groupes sociaux par la croyance en ses pratiques culinaires quotidiennes. Il est alors nécessaire de surenchérir symboliquement et économiquement afin d’obtenir une qualification et une spécification particulières: La gastronomie, taxinomie fixant l’arbitraire des goûts en situation sociale, grâce à ses victoires éphémères pérennisées par le discours instruit accompagnant puis précédant mets et vins, s’instaure ainsi comme un des nouveaux musées de l’imaginaire.
FATHI CHARGUI