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Par cristopher stand, le 04.10.2015
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Date de création : 17.09.2010
Dernière mise à jour :
21.01.2014
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Le Magazine Littéraire N°505 -- Février 2011 : Céline, D'un siècle l'autre
L’empêcheur de tourner en rond
Longtemps après sa mort, Céline ne se laisse toujours pas ranger parmi ceux que l’on a coutume d’appeler les « classiques de notre temps ». Classiques et bien de notre époque, Camus, Malraux et Sartre – écrivains humanistes et mesurés dans leurs novations langagières – le sont depuis longtemps déjà. Giono, Gracq ou Yourcenar connaissent un même ennoblissement. Bataille même, et Artaud et Genet – hier encore clandestins et maudits – sont désormais édités dans une méticuleuse et officialisante intégralité. On a fini par amnistier, à titre posthume, Brasillach, Drieu et Pound ; on a même déterré Rebatet et Maurice Sachs. Tout Sade est en collection de poche. Céline, lui, continue de gêner: il pourrait bien être le dernier occupant de l’enfer littéraire. Certes, depuis les années soixante-dix, universitaires et critiques, de droite et de gauche, de tradition et de modernité ont jeté sur lui un véritable dévolu – phénomène logique d'ailleurs : un auteur inclassable et insaisissable ne peut qu’engendrer les curiosités et les pulsions les plus diverses. Certes, il fut l’un des rares écrivains à connaître, de son quasi-vivant, les honneurs d’une intronisation dans ce panthéon littéraire que constitue la collection de la Pléiade, où il devrait, en trois tomes, faire pendant à « À la recherche du temps perdu ». Mais toutefois, une partie décisive de son œuvre – les pamphlets – demeure sous le manteau. Enfin, même si l’on ne compte plus les ouvrages, les articles, les cahiers, les numéros spéciaux de revues qui lui sont consacrés, il faut bien reconnaître qu’il n’existe sur lui jusqu’à présent aucune monographie exhaustive ; la célèbre série des « Écrivains de toujours » ne le compte toujours pas parmi ses membres. Mais, surtout, l’attitude des lecteurs ne semble pas varier. Beaucoup continuent de le rejeter en raison soit de ses violences verbales, soit de ses outrances thématiques, soit de ses errements idéologiques, ou de ces trois faits réunis. D’autres l’adulent et voient en lui non seulement, avec Proust, le principal romancier français du XXe siècle, mais aussi l’un de ses témoins les plus authentiques : à une époque révulsée, ravagée par l’accélération de l’histoire et confrontée à ses propres abominations ne peut que correspondre un artiste brutal, excessif et irrationnel. Certains, enfin, tentant de faire la part des choses, admirent en lui le grand révolutionnaire du langage et de la narration, quitte à fermer un peu les yeux sur son idéologie sulfureuse, sur son antisémitisme de choc, et à donner une image tout à fait schizophrénique d’un écrivain clivé entre le bon docteur Destouches et le méchant Mr. Céline. C’est pourquoi il n’existe pas actuellement d’explicitation de « tout » Céline. Dans ce numéro du Magazine Littéraire, on apprend quelques révélations fort croustillantes sur ce personnage hors norme comme ce tract diffusé à Meudon lors des élections municipales de 1953 où Céline y est taxé d’écrivain à la fois « hitlérien » et « pornographique » ou encore cette traduction d’un extrait des mémoires d’Hermann Bickler, le fameux colonel SS, qui relate ses rencontres avec Céline sous l’Occupation.
Est-ce un génie ou un provocateur ?
Très prisée par la critique, surtout universitaire, depuis les années soixante-dix, l’œuvre de Céline continue néanmoins de susciter des interrogations. Par beaucoup d’aspects, elle semble animée d’une très stricte logique interne que l’on a aujourd’hui assez bien définie et étudiée. Par d’autres, elle s’avère encore déconcertante (peut-être parce qu’elle est toujours en partie interdite de publication). André Maurois, Paul Nizan, Claude Lévi-Strauss, Albert Thibaudet, Léon Daudet, Léon Trotski, Maxime Gorki, François Mauriac, Bernanos, Aragon, Elsa Triolet, Sartre… Qui était pour ? Qui était contre Céline ? L’histoire nous l’explique aujourd’hui. Les 70 critiques de Voyage au bout de la nuit d’André Derval révèlent le grand déchirement des intellectuels face à une œuvre. Le livre 70 critiques de Voyage au bout de la nuit d’André Derval reflète les clivages esthétiques et idéologiques d’une époque. Une époque où le Voyage fut accueilli dans une pagaille dont cette réédition en poche du livre d’André Derval donne le ton. Dès la parution de Voyage au bout de la nuit de Céline, la critique littéraire, tous bords confondus, déploya ses étendards pour se répandre, en articles d’une véhémence rare, sur ce pavé sacrilège : «On crie au génie, on hurle à l’ordure et à la fange. Sur un point, la critique est unanime : les “‘roman fleuve”’ sont une plaie pour le lecteur pressé et le critique affairé. À l’évidence, la critique littéraire n’en revient pas des pérégrinations de Bardamu. Cet antihéros surnage dans un désespoir sans issue. Il ne goûte guère le sacrifice suprême pour la patrie et vomit l’Afrique coloniale. Après s’être usé chez Ford, aux Etats-Unis, il revient exercer dans un dispensaire miteux de la “‘zone”’, la banlieue crasseuse de toutes les misères ouvrières. La critique affolée cherche, parmi ses références, des prédécesseurs, Rabelais et surtout Zola sont convoqué pour assurer une paternité naturaliste, voire prolétarienne, à cet objet littéraire non identifié. Rien n’y fait, Céline est une météorite inclassable et foudroyante, fracassant les habitudes de lecture et de style.
Céline le tourbillon
Un demi-siècle après sa mort, Céline continue d’alimenter une mauvaise conscience, dont les effets se traduisent soit par des omissions biographiques, soit par des blâmes sans appel. Tout se passe comme s’il fallait se purifier pour aborder Céline, exorciser un mal essentiel, sous peine de passer pour un naïf, ou pire, comme un complice. Cette névrose a produit une double démarche : la mise en évidence d’un “système Céline” que l’on s’efforce de faire fonctionner au moyen de tous les nouveaux ustensiles de la critique, et le maintien de la censure qui permet, croit-on, de limiter les risques d’infection des fameux pamphlets. D’un côté, la chirurgie aseptisée, de l’autre, la prophylaxie. Qu’on se souvienne cependant de l’itinéraire de cet homme aux “mains sales». Peut-être est-il opportun de rappeler pour tous ceux qui le découvrent — et ils sont nombreux — le chambardement qu’il provoqua avant-guerre dans le domaine littéraire comme sur le terrain idéologique. Porté aux nues à l’extrême gauche qui vit en lui le premier écrivain prolétarien de génie, il fut sacralisé par l’avant-garde. Aragon le salua avec déférence, Elsa Triolet le traduisit en russe, Sartre écrivit La Nausée sous l’égide d’une phrase tirée de l’Eglise. Le parti communiste lui octroya même une bourse pour le dédommager du prix Goncourt qu’il manqua de peu pour Voyage au bout de la nuit. Dévoré par Staline, vomi par Hitler qui le fit interdire, celui qui fit chanter les mots de la tribu en leur donnant un tremblement incomparable, et jusqu’à ce jour inégalé, avait fait raisonner un formidable coup de gueule qui résultait d’une conscience douloureuse et meurtrie. S’insinuant dans tous les replis de la conscience humaine, Céline palpe le mal, le titille avec humour et compassion, en se souciant comme d’une guigne de promouvoir une quelconque option idéologique. Il n’a cessé de gêner, de déranger, aussi n’est-il pas étonnant que Vichy l’ait exécré, lui préférant Drieu, Montherlant, Giono ou même Aragon. Car le tourbillon Céline est étranger à tous les bords, il touche au cœur. À ce compte, il n’est guère surprenant que cet histrion de génie ait commis ce que l’histoire a retenu comme des péchés. On admire ses féeries, on réprouve ses furies, et il est vrai que Louis Ferdinand ne pouvait s’empêcher de brailler à tous les vents des imprécations excessives inhérentes au registre de la protestation, du libelle. Dans son dernier ouvrage, Julien Gracq note qu’“il y a dans Céline un homme qui s’est mis en marche derrière son clairon. J’ai le sentiment que ses dons exceptionnels de vociférateur, auxquels il était incapable de résister, l’entraînent inflexiblement vers les thèmes à haute teneur de risque, les thèmes paniques, obsidionnaux, frénétiques, parmi lesquels l’antisémitisme, électivement, était fait pour l’aspirer”. Nul doute que Céline ne soit un objet privilégié pour de telles analyses, qui cherchent dans les conflits psychiques et les clivages ou les vacillements de l’identité le point d’articulation d’une histoire individuelle, d’une idéologie et d’une interrogation sur le sens, voire d’une mise en question de celui-ci. Les plus convaincantes sont celles qui suivent, jusque dans le détail de l’écriture, la trace de ces conflits et de ces vacillements. Julia Kristeva s’y attachait, en 1980, dans cette étude sur les “Pouvoirs de l’horreur” dont Céline était la figure centrale. En 1981, Philipe Murray proposait dans le même esprit des réflexions sur la négativité chez Céline. Dans ces perspectives, l’action du texte sur le lecteur se situe dans l’ébranlement de ses propres systèmes inconscients, et dans le pouvoir libérateur, plus ou moins confusément ressenti, de certaines mises en question. Cet ébranlement et cette libération suffisent-ils à rendre compte du plaisir que nous prenons à lire Céline ? Il reviendra sans doute à d’autres études de cerner de plus près ce qu’il entre de spécifiquement esthétique dans ce plaisir.
FATHI CHARGUI
Le Magazine Littéraire N°505 février 2011 : Céline—D’un siècle l’autre